Eclairage d’Adrien Fourmon, avocat au barreau de Paris et Counsel du cabinet Jeantet
Selon un article qui a été publié dans les Echos le 16 septembre 2020, l’Etat a annoncé qu’il souhaiterait que les contrats d’achat d’électricité photovoltaïque conclus avant 2011 (contrats dits S06 et S10) qui bénéficient de tarifs de rachat sur 20 ans, soient renégociés, en contradiction avec la politique de soutien affichée du gouvernement.
Sur les 235 000 contrats signés entre 2006 et 2011 potentiellement concernés, le gouvernement ciblerait 0,3% d’entre eux, soit 800 contrats passés pour l’essentiel par des développeurs et professionnels dont les installations bénéficient d’une “surrentabilité qui se maintient et mobilisent une charge annuelle de 600 à 800 millions d’euros pour l’État.
#FranceDéfiance : c’est par ce hashtag que le Syndicat des énergies renouvelables (SER) avait notamment réagi à une information du quotidien économique.
D’amendements en décret…
Cette rumeur a cependant été confirmée par le dépôt, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021 devant la commission des finances, d’un amendement du député J. Aubert qui prévoyait d’abaisser à treize ans la durée des contrats d’obligation d’achat des installations photovoltaïque d’une puissance supérieure à 250 kW, conclus avant l’entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010.
Cet amendement était essentiellement motivé par des raisons budgétaires liées aux coûts engendrés par ces contrats.
Dans le même esprit, le député Aubert a également déposé un autre amendement prévoyant cette fois d’insérer une clause de revoyure de la rémunération versée au titulaire, dans les contrats d’achat d’une durée supérieure ou égale à dix ans conclus dans le cadre des appels d’offres lancés en application de l’article L. 311-10 du code de l’énergie. Ils ont toutefois tous deux, été rejetés par la commission des finances le 23 octobre 2020.
- L’amendement déposé le 20 octobre, par le député Julien Aubert, prévoyait que :
- « La durée des contrats d’obligation d’achat de l’électricité produite par les installations d’une puissance supérieure à 250 kilowattheures utilisant l’énergie radiative du soleil conclus avant le moratoire décidé par le décret n° 2010‑1510 du 9 décembre 2010 est abaissée à treize ans à compter de leur notification. Les conditions de réduction de cette durée sont déterminées par décret en Conseil d’État.
Chaque année, le Gouvernement remet au Parlement un rapport rendant compte des conditions de mise en œuvre du premier alinéa. »
- L’exposé sommaire de cet amendement indiquait que: « Le soutien public appelé à être accordé en 2021 au secteur photovoltaïque est anormalement élevé. Cette filière représentera 31 % des charges de service public de l’énergie (2 901 millions d’euros sur 9 315 millions d’euros) alors, qu’en 2019, elle n’a représenté que 2,2 % de la production électrique.
Cette disproportion s’explique par la charge démesurée représentée par l’application des contrats signés avant la suspension de l’obligation d’achat de l’électricité produite par le secteur photovoltaïque décidée par le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010.
Les contrats signés sur ce fondement représentent, selon la Cour des comptes, 0,7 % de l’électricité produite et sont responsables de charges s’élevant à 2 milliards d’euros par an. Les coûts acquittés au titre de ces contrats sont très excessifs (jusqu’à 510 € le MW) et pénalisent le budget de l’État.
Le présent amendement propose de ramener la durée de ces contrats de 20 à 13 ans moyennant l’indemnisation de leurs titulaires.
La remise en cause de ces contrats n’interdira pas à leurs titulaires de continuer à produire de l’électricité et de commercialiser celle-ci sur le marché. »
- Cet amendement a été rejeté par la Commission des finances de l’Assemblée nationale le 23 octobre 2020.
Pourtant, l’Etat semble bien déterminé à vouloir renégocier les termes de certains contrats d’achat d’électricité photovoltaïque conclus avant 2011, notamment en raison de leur prétendue surrentabilité dont bénéficieraient leurs titulaires.
En effet un nouvel amendement ayant peu ou prou la même finalité que le premier, a été déposé par le gouvernement. L’amendement prévoit notamment une clause de sauvegarde, pour les producteurs qui verraient leur viabilité économique compromise à la suite de cette révision de tarif d’achat.
- L’amendement déposé par le Gouvernement le 7 novembre, prévoit lui que :
« Le tarif d’achat de l’électricité produite par les installations d’une puissance crête de plus de 250 kilowatts utilisant l’énergie radiative du soleil moyennant des technologies photovoltaïques ou thermodynamiques est réduit, pour les contrats conclus en application des arrêtés du 10 juillet 2006, du 12 janvier 2010 et du 31 août 2010 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l’article 2 du décret n° 2000‑1196 du 6 décembre 2000, à un niveau et à compter d’une date fixés par arrêté des ministres chargés de l’énergie et du budget de telle sorte que la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les recettes de l’installation et des aides financières ou fiscales octroyées au titre de celle-ci, n’excède pas une rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à son exploitation. La réduction du tarif tient compte de l’arrêté tarifaire au titre duquel le contrat est conclu, des caractéristiques techniques de l’installation, de sa localisation, de sa date de mise en service et de ses conditions de fonctionnement.
Sur demande motivée d’un producteur, les ministres chargés de l’énergie et du budget peuvent, sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie, fixer par arrêté conjoint un niveau de tarif ou une date différents de ceux résultants de l’application du premier alinéa, si ceux-ci sont de nature à compromettre la viabilité économique du producteur, sous réserve que celui-ci ait pris toutes les mesures de redressement à sa disposition et que les personnes qui le détiennent directement ou indirectement aient mis en œuvre toutes les mesures de soutien à leur disposition, et dans la stricte mesure nécessaire à la préservation de cette viabilité. Dans ce cas, les ministres chargés de l’énergie et du budget peuvent également allonger la durée du contrat d’achat, sous réserve en outre que la somme des aides financières résultant de l’ensemble des modifications soit inférieure à la somme des aides financières qui auraient été versées dans les conditions initiales. Ne peuvent se prévaloir du présent alinéa les producteurs ayant procédé à des évolutions dans la structure de leur capital ou dans leurs modalités de financement après le 7 novembre 2020, à l’exception des mesures de redressement et de soutien susmentionnées.
Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission de régulation de l’énergie, précise les modalités d’application du présent article. »
- Son exposé sommaire précise que: « Le soutien mis en place par les arrêtés du 10 juillet 2006, du 12 janvier 2010 et du 31 août 2010, fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative du soleil, s’est révélé, à l’exception du cas des installations les plus modestes, trop élevé au regard de la baisse importante des coûts, ce qui a conduit à une rentabilité hors de proportion avec une rémunération normale des capitaux investis et à une forte hausse des demandes de contrat. Un moratoire est intervenu à la fin de l’année 2010, afin de mettre en place un soutien plus adapté à la baisse des coûts observée.
Les tarifs retenus pour les contrats en cause n’ont ainsi pas permis, sur leur durée d’application, de respecter l’article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité qui dispose, dans sa version modifiée le 31 mars 2006, que le niveau de la rémunération perçue « ne peut conduire à ce que la rémunération des capitaux immobilisés dans les installations bénéficiant de ces conditions d’achat excède une rémunération normale des capitaux, compte tenu des risques inhérents à ces activités et de la garantie dont bénéficient ces installations d’écouler l’intégralité de leur production à un tarif déterminé. »
Cette rentabilité excessive des contrats d’achat garantis sur vingt ans entraîne également des conséquences dommageables pour l’efficience du financement public des énergies renouvelables. Les dépenses publiques consécutives aux contrats concernés s’élèvent en effet à 2 milliards d’euros chaque année, soit plus du tiers des dépenses annuelles de soutien aux énergies renouvelables, au bénéfice de moins de 5 % de la production d’électricité d’origine renouvelable.
Le présent amendement consiste à réviser pour l’avenir le tarif des contrats en cause afin de ramener leur rentabilité à un niveau correspondant à une rémunération raisonnable des capitaux. Il vise ainsi à mettre fin à une situation de rémunération excessive et sans cause issue de l’application de certains contrats d’obligation d’achat d’électricité d’origine photovoltaïque et préserver les ressources publiques et l’effort du contribuable au bénéfice de l’atteinte des objectifs environnementaux ambitieux poursuivis par le Gouvernement de la manière la plus efficiente. D’autres modes de production d’énergie renouvelable pourront en conséquence bénéficier d’un soutien accru pour accompagner leur développement, notamment les nouveaux projets d’installations solaires photovoltaïques qui seront soutenus par le Gouvernement.
Afin de garantir l’effet utile de la mesure pour soutenir la transition énergétique, l’amendement prévoit une clause de sauvegarde au bénéfice des installations pour lesquelles son application serait susceptible de compromettre la viabilité du producteur en dépit des mesures de redressement prises par celui-ci et des mesures de soutien apportées par les personnes qui le détiennent directement ou indirectement.
Sur demande du producteur, les ministres de l’énergie et du budget pourront ainsi tenir compte de la situation de chaque installation et définir en conséquence des aménagements adaptés permettant la poursuite du fonctionnement de ces installations. Ces aménagements pourront intégrer un allongement de la durée du contrat sous réserve que la somme des aides financières résultant de l’ensemble des modifications soit inférieure à la somme des aides financières qui auraient été versées dans les conditions initiales.
Les installations de moins de 250 kWc ne seront pas concernées par l’amendement et la révision des tarifs touchera environ 0,5 % des contrats d’achat conclus en application des arrêtés tarifaires susmentionnés.
Dans la mesure où cet amendement cible un nombre restreint d’anciens contrats d’achats dont la rémunération est excessive, il n’induit pas de risque nouveau sur le financement des nouveaux projets énergies renouvelables. Les nouveaux dispositifs de soutien ont en effet été notifiés auprès de la Commission européenne et le niveau de rémunération a fait l’objet d’une validation formelle. Les nouveaux projets d’énergies renouvelables s’appuient donc sur des contrats d’achat solides qui ne peuvent pas être remis en cause ».
- Cet amendement qui a été discuté le 10 novembre en présence dela Ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, a été rapidement adoptéà l’Assemblée nationale.
L’Etat va-t-il aller jusqu’au bout de sa démarche ?
La ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, a défendu mardi 10 novembre la révision de l’aide à certains parcs solaires, tout en assurant qu’elle serait « ciblée » et « juste », avec également une prise en compte des spécificités de l’Outre-mer et de la Corse.
Cet amendement a ensuite été adopté ce vendredi 13 novembre matin, en séance publique par 123 voix contre 62, le texte ayant fait l’objet d’une trentaine de sous-amendements dont certains visaient à exclure entre-autre les département et régions d’outre-mer.
Reste maintenant à voir si l’Etat persistera jusqu’au bout dans sa démarche, qui en plus d’être génératrice d’insécurité juridique, nuit incontestablement à la stabilité des relations contractuelles, qu’il doit bien évidemment lui aussi garantir.
Si cette mesure était adaptée dans le cadre du projet de loi de finance des textes d’application devront préciser par la suite les modalités de mise en œuvre d’une telle décision.
La filière et les syndicats des professionnels des EnR (notamment Enerplan et le SER) se sont montrés vent debout contre cette initiative, qui remet en cause la confiance qui a permis le développement du photovoltaïque sur le territoire national ; elle devrait selon toute vraisemblance se mobiliser pour en contester la légalité, qui pourra être discutée devant le Conseil constitutionnel et / ou devant le Conseil d’Etat.
En particulier, il est possible de s’interroger sur la légalité et les fondements juridiques d’une telle mesure. Au-delà de cette mesure concernant le photovoltaïque, l’ensemble du secteur des énergies renouvelables est concerné par une telle mesure qui représenterait un précédent.
Cette mesure rétroactive porterait un coup à l’ensemble des acteurs des énergies renouvelables concernés par des dispositifs équivalents à ceux du secteur photovoltaïque et éroderait la confiance accordée à la parole de l’État, en se traduisant notamment dans les plans d’investissements et de financements habituellement fondés des tarifs garantis, par une potentielle hausse des coûts de financement du secteur sur les futurs projets et une perte de confiance des investisseurs et les institutionnels (assureurs, groupes de retraites…), à qui certaines créances liées à ces projets photovoltaïques ont été cédées.
Publié le 15.11.2020 par Adrien Fourmon sur www.lemondedelenergie.com